Abbaye de Michaelstein (D) | Machines fantastiques de Salomon de Caus

Les machines fantastiques de Salomon de Caus

 

Yves Weinand, architecte & Guido Schumacher, facteur d'orgues

 

Introduction

 

Salomon de Caus était un architecte-inventeur célèbre au début du 17ième siècle. En 1615 il publia son fameux traité « Les raisons des  forces mouvantes avec diverses machines tant utilles que plaisantes aux quelles sont adjoints plusieurs dessins de grottes et fontaines ».  Ses conceptions compliquées avaient pour but et résultat des aménagements qui étaient censés amuser la société de la cour. Les connaissances techniques que ces constructions engendraient ont cependant eu une influence sur le développement global de telles connaissances.

 

La construction de ses machines illustre de façon exemplaire que les métiers d'ingénieur et  d'artiste étaient identiques et que les inventions de ces ‘ingénieurs-artistes' à l'époque du baroque ont effectivement produit des ‘figures de proue' qui demandaient et représentaient dans une commune mesure des connaissances techniques et artistiques.

 

Dans le cadre d'un projet de recherche de la « Technische Hochschule » d'Aix-la-Chapelle Yves Weinand a réuni une équipe pour reconstruire plusieurs machines dont la plus grande comporte aussi la construction d'un orgue.

 

La construction des machines est l'occasion bienvenue pour démontrer qu'à l'époque contemporaine une nouvelle perspective autour de la notion d'invention ou mieux «d'imaginatio»n est nécessaire. Le projet vise à initier une véritable réflexion sur la créativité, - et cela dans tous les domaines - et met en valeur l'apport bénéfique d'une démarche collective et l'importance des aspects relationnels.

 

La reconstruction des machines de Salomon de Caus permet de reconstituer un lien avec l'homme de la Renaissance et son monde pratiquement disparu. Ces machines sont simplement actionnées par les forces de l'air et de l'eau. Elles offrent au spectateur la possibilité de revivre aujourd'hui ce que leurs inventeurs ont vécu à l'époque. «Les inventions plaisantes de ces mécaniciens du 16.siècle remplissaient dans l'esprit de leurs inventeurs une fonction magique de la plus haute importance: en créant des simulacres de vie, elles démontrent les principes («les raisons» dirait Salomon de Caus) qui gouvernent l'univers et rendent donc possible une communication magique entre l'homme et l'univers.»

 

La machine est en rapport avec l'univers de la machine du désir. Cette propriété universelle doit être communiquée au spectateur contemporain d'un monde essentiellement rationnel.

 

La personne de Salomon de Caus

 

Salomon de Caus a travaillé en tant qu'ingénieur à la cour de Albert et Isabelle entre 1598 et 1610 à Bruxelles, à la cour de Charles I. de 1610 à 1613 en Angleterre et à la cour du prince palatin Frédéric de 1613 à 1620 à Heidelberg. Inspiré par les jardins de Pratolino; il a conçu plusieurs jardins, y compris les constructions attenantes de fontaines, grottes et machines. Il fut un constructeur reconnu d'automates en rapport avec l'art des jardins: architecte, architecte de jardins, ingénieur, homme des sciences et théoricien des arts. Son ouvrage principal «Les raisons des forces mouvantes», édité chez J. Norton, Londres, 1612 était durant des années, la seule référence pour de telles constructions. Il comptait sans doute parmi les plus importants constructeurs de grottes en France.

 

Des témoins historiques. L'analyse technique est accompagnée d'une interprétation historique des planches originales.

 

L'autre objectif du projet est d'établir un lien entre ces machines et l'art contemporain:

 

1) Les machines sont démontables. Elles peuvent voyager. C'est un projet «nomade» et en cela il est contemporain.

 

2) C'est un projet festin. Il crée la magie par son identité poétique. Il s'agit d'un projet collectif puisqu'il parle des choses de la vie.

 

3) Enfin, il est exhibitionniste, puisqu'il montre les parties mécaniques qui autrefois étaient cachées et en cela, il est contemporain également.

 

4) C'est un projet collectif. Il questionne par sa nature la créativité de l'artiste individualiste moderne. Ce projet crée un lien entre artisans, artistes et spécialistes des arts et sciences.

 

La démarche de la construction

 

Salomon de Caus était un architecte-ingénieur visionnaire et les planches gravées de son traité font partie de cette vision, dont nous ignorons si elle a abouti à une réalisation. En effet le traité ne contient aucune indication de mesure précise.  L'analyse de la partie consacrée à la réalisation d'un orgue nous révèle certes des connaissances théoriques de base du fonctionnement d'un orgue, mais indique tout aussi clairement que Salomon de Caus n'avait aucune connaissance pratique du métier de facteur d'orgues. Son système d'actionnement d'un ensemble de soufflets cunéiformes par un vilebrequin par contre est la preuve d'une ingéniosité hors du commun et mérite une attention particulière.

 

Le grand défi de ce projet fut donc pour les concepteurs et les artisans d'imaginer des solutions pour la réalisation de la vision de Salomon de Caus, en restant dans l'esprit de son époque. La partie orgue a donc été construite dans le respect des traditions de la fin de la Renaissance et du début du baroque.

 

Description

 

La machine « Galatée et cyclope » occupe un volume d'environ 8 x 6 x 3,5 m et comprend plusieurs parties : sur une structure démontable en bois il y a à l'avant-plan un bassin d'eau sur lequel voyage une statue de  Galatée, actionnée par une double roue à eau. Ce voyage est accompagné par une mélodie jouée par un orgue « automatique », placé à l'arrière-plan et formé par plusieurs éléments :

 

- un tambour musical actionné par une deuxième roue à eau via plusieurs engrenages

 

- un ensemble de 3 soufflets cunéiformes, levés alternativement par un vilebrequin lui-même actionné par une roue à eau

 

- un sommier avec un clavier

 

- une pièce gravée sur laquelle sont postés deux rangs de tuyaux, un Bourdon 8' et un Prestant 4'

 

La pièce centrale est cet énorme tambour en bois de près d'un mètre de diamètre, recouvert d'une feuille de cuivre avec les pointes en laiton, qui présente la partition de musique. Il s'agit de la transcription d'un madrigal d'Allessandro Striggio, joueur de luth et compositeur italien de la deuxième moitié du XVIème siècle. La dimension du tambour a été calculée en partant de la longueur de partition musicale et de la vitesse d'exécution de la pièce, en tenant compte de la vitesse de rotation de la roue à eau et de la réduction par les engrenages.

 

La tuyauterie a été construite sur le modèle de celle de la reconstruction des grandes orgues Renaissance de l'église St Jacques à Liège, datant de 1600, en alliage de 95% de plomb martelé, aminci vers le dessus, harmonisation plein vent, coupée au ton et le Bourdon à calotte soudée.  Le tempérament est mésotonique.

 

Les trois soufflets cunéiformes sont à un pli rentrant et mesurent 2 ½ pied  sur 1 ¼ pied.

 

Alors que Salomon de Caus avait imaginé une roue à eau unique pour la partie orgue, il est vite apparu que la vitesse de rotation pour le tambour et celle pour le villebrequin de l'ensemble soufflerie était très différente, donc incompatible. De même la dernière peut varier légèrement en fonction de la position de la table des soufflets, qui dépend de la consommation de vent. La conséquence  fut donc la construction de deux roues indépendantes, une pour la soufflerie et l'autre pour le tambour musical, qui exige une rotation bien plus régulière.

 

La partie sommier et clavier est inspirée de la planche du traité, qui ressemble plus à un croquis de conception, mais les dimensions ont été adaptées au besoin réel de consommation en vent.

 

Composition

Lieu
Michaelstein (D)
Facteur d'orgues
Schumacher